Vidéographie de 15 minutes réalisée pour la 19e biennale internationale de céramique dee Châteauroux , en collaboration avec Armelle Benoit, peintre céramiste, et Anthony Girardi, photographe.

Et que je me brise!

Il y a trois sortes d’âmes, trois sortes de prières:

-Seigneur, tends-moi sinon je pourrirai.
-Ne me tends pas trop, Seigneur, je me briserais
-Tends-moi tant que tu veux, Seigneur, et que je me brise!

Thérèse d’Avila

Accompagné des grandes plaques fissurées de la céramiste Armelle Benoit et des photographies accidentées d’Anthony Girardi, VL plonge dans ses archives vidéographiques et, dans un montage halluciné, livre une introspection par la faille d’un cinéma entré en terre cuite.

Par son seul titre, idem exprime l’enjeu de la 19e Biennale: montrer que si une frontière existe au sein des arts, cette frontière ne sépare pas la céramique de l’art, mais l’art du non-art. Prouver, en somme, que la valeur d’intentionnalité, que les caractéristiques techniques et les conditions de production peuvent être tout aussi déterminantes chez les peintres, les graveurs, les sculpteurs ou les photographes, que chez les céramistes. Prouver aussi que les quêtes plastiques peuvent être les mêmes. L’importance dévolue à la matière, au geste, à la tactilité n’est pas propre à la céramique. La contestation sociétale, la question existentielle, la question de la forme, de la couleur-lumière sont autant de sujets partagés par tous.

Stéphanie Le Follic-Hadida, commissaire de la 19e biennale de céramique de Châteauroux.

L’accident, l’inattendu, la fêlure, la fissure ; on met tout en œuvre pour réaliser une pièce, une fresque (monumentale) faite de plaques peintes en céramique… et puis à la sortie du four apparaît une étrangeté qui déroute et dérange, un tracé noir, irrégulier vient découper une continuité, introduit une rupture : la plaque a fendue, la déception est grande et l’idée de devoir tout refaire à nouveau envahi l’esprit, émiette le moral. Pourtant, au fil du temps cet inattendu retient l’attention, et même l’attire, cette ligne inopportune parle, non plus du noir de l’accident, elle offre d’autres possibles. Le noir de la fente qui sépare laisse apparaître un vide, ce vide mis en exergue offre un champ nouveau d’intervention ou de non intervention.

Il offre et fait place à un autrement voir, un autrement existentiel peut-être?

S’ajoute la concordance, l’association à deux artistes, Anthony Girardi et Virgile Loyer, respectivement photographe et vidéaste, tous deux partenaires d’infortune et d’une attention voulue à ce qui dérange ou semble accidentel. Et qui, de par leur pratique respective, viennent nourrir cette réflexion sur ce qui advient hors de la volonté de l’artiste et fait œuvre.

Armelle Benoit

Il y a quelque chose du miroir dans  les grandes plaques fissurées d’Armelle,   comme si ces lignes et ces fragments dessinaient l’horizon vertical d’un paysage intérieur.

Ce paysage, Anthony et moi l’arpentons comme un pays natal accidenté, traquant  nos propre schizes afin de faire carte ensemble, au risque de nous retrouver dans un état d’extrême secousse, éclaircie d’irréalité, avec dans un coin de soi-même des morceaux du monde réel… (A  Artaud. Le pèse-Nerf 1929)

C’est qu’ici, si la faille n’est pas intentionnelle, elle  n’est  pas non plus fruit du hasard. Elle résulte d’une tension, cette même tension qui,  chez d’autres, donne   naissance à un rythme, à une écriture.

Le potier et l’écrivain savent bien tout deux qu’in fine, c’est le Feu, le Verbe, qui décide. Ici donc, c’est une Force  qui fait faille, une tension qui fait signe, un accident qui fait sens.

Cela dit un peu de notre ouvrage commun: une attention particulière à l’indicible inattendu.

Pour ma part, je suis allé puisé dans mes archives vidéographiques matières et mémoires brisées, lignes de rupture et de risque, gouffres, entrailles et interstices.

J’ai composé,   journal accidentel, une introspection par la faille, qui tente de dire un peu de ce cinéma nu, qui d’un torrent himalayen à un musée de l’Homme vide, qui des mines de  Silésie à un four Anagama, est entré en Terre Cuite.

J’écris donc de ce cinéma qu’il est entré en terre cuite comme on dit qu’on entre en résistance. En tension.

Virgile Loyer